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Les armes: la lance

Utiliser une arme de jet nécessite d'en connaître le fonctionnement, surtout quand sa survie ou celle d'un groupe en dépend. 

Certains d'entre nous ont probablement déjà essayé de fabriquer un arc ou une lance. Seulement, obtenir une arme qui permette la chasse, demande une grande connaissance de la balistique. Sans cette connaissance, le tir sera hasardeux et donc peu productif en terme de ratio gain en calories/dépense énergétique.

Explications:

Le fût d'une flèche ou d'une lance qui est mis en mouvement subit une force au point de contact (l'encoche sur une flèche, la main sur une lance). Plus cette force est importante et plus le fût va se déformer avant que la pointe ne commence à se mettre en mouvement. C'est ce qu'on appelle le paradoxe de la flèche. Le fût va se déformer au départ et va progressivement arrêter de se tordre en cours de vol. Au ralenti (plus de 2000 images/s) on a l'impression que le fût est comme de la pâte à modeler.

Le vol d'une flèche, extrait de "Rebelle" (Walt Disney):

De nombreux aspects, liés à l'utilisation de la lance, ont été inclus dans la trame narrative d'Ocre: approche, distance de tir réduite, construction, chasse, ainsi que les parties visées chez l'animal. (pages 5-6, 19, 30, 58-59 et 62).

Regardez bien comment sort la flèche. C'est une très bonne reconstitution de ce qu'une caméra 4000i/s arriverait à montrer. Ce qui est encore plus intéressant, c'est que la flèche se tord tellement, qu"au niveau de "la fenêtre d'arc" (partie au dessus de la main d'arc), la flèche se déforme et les plumes ne vont presque pas toucher l'arc!

Même si une lance est projetée proche du centre du fût, comme nous le montre la vidéo ci dessous, le fût (ici un javelot) est aussi soumis à de fortes contraintes et se déforme. 

Chez Néandertal, le femmes avaient une grande force physique. Elles pouvaient chasser au même titre que les hommes. Dans des clan à l'effectif réduit, toute aide devait être utile (Ocre, page 14).

Pour en revenir à notre homme (ou femme), à la préhistoire, lors du jet d'une lance, la problématique est légèrement différente d'une flèche, car la poussée se fait vers le centre du fût et non à une extrémité. Mais il y a quand même déformation. Cette déformation est liée à la nature du bois (plus ou moins souple), son diamètre, à sa longueur, mais aussi à la force du lanceur.

Plus la force exercée sur le fût sera importante et plus le fût devra être rigide. En archerie, on appelle ça le spine de la flèche (1).

Sapiens et peut-être aussi Néandertal, devaient maîtriser, même empiriquement, ces données pour permettre à leur projectile de voler "droit", sans trop perdre d'énergie en ondulant mais aussi risquer de dévier vers la droite ou la gauche.

On peut donc imaginer qu'un homme (ou une femme) qui fabriquait une lance à cette époque, devait confectionner l'arme en l'adaptant à son lanceur. Le fabriquant de lances (ou plus tard de flèches) devait étudier la force du lanceur.

Si on prend comme référence la fabrication de lances dans des sociétés actuelles, dites primitives, l'artisan devait d'abord choisir un tronc d'arbre pas trop gros, dans lequel il débitait de longues perches, dans le sens des fibres du bois (2). Ceci peut se faire assez aisément avec des outils simples (hache, coin, marteau).  Ces perches de section rectangulaire étaient ensuite retaillées pour avoir une section circulaire.

Ceci fait, le chasseur devait choisir la longueur de sa lance. Son diamètre devait être assez gros pour avoir de la marge pour régler sa dureté. Ensuite, la pointe était ajoutée (colle + attache) car elle influe sur la souplesse finale de la lance (3). Pour finir, le chasseur devait faire des essais de lancer. L'artisan devait ensuite poncer le fût pour le rendre plus souple jusqu'à ce que le tir soit régulier et ne dévie ni à droite, ni à gauche.

Il faut bien avoir en tête que le gros gibier doit impérativement être touché au niveau des poumons ou du cœur pour avoir une mort rapide et donc éviter des heures de pistage pour peut-être ne pas pouvoir le retrouver. Si le gibier est touché au niveau des intestins, ceux ci peuvent être percés et contaminer la viande (bactéries dans le sang). Un gibier mal tué est un gibier non comestible, ou alors avec le risque de manger une viande avariée. La nécessité de fabriquer une arme optimisée était probablement une des priorités de nos ancêtres (au sens large).

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Ainsi, quand on réalise des tests, en laboratoire, dans lesquels on compare le lancer d'un homme ordinaire avec le lancer d'un homme très fort (sensé simuler un Néandertalien), il faudrait adapter la lance à son utilisateur. Dans ce genre d'expérience, les paléontologues utilisent souvent la modélisation d'une lance retrouvée sur un site archéologique. Je pense que ça ne peut que donner une indication, car cette lance devait très probablement être adaptée à un chasseur, forcément différent de l'homme qui réalise l'expérience. Jamais un chasseur, qui aurait voulu être efficace, n'aurait utilisé une lance non adaptée à sa force. Auquel cas, après des heures de traque, il aurait risqué de rater sa cible ou pire, subir la charge de l'animal juste blessé.

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Même si, chez Sapiens, les femmes sont en moyenne, moins fortes que les hommes, à la préhistoire, elles pouvaient aussi utiliser les lances, peut-être en étant plus précises (Ocre, page 45).

Image tirée d'Ocre, page 59.

Dans le cas du propulseur, inventé il y a un peu plus de 20 000 ans (donc non présenté dans Ocre) on se retrouve la même problématique qu'avec une flèche d'arc, puisque le propulseur agit à une extrémité du fût.

Sur cette vidéo, le fût de la flèche semble un peu trop souple. Le vol est assez perturbé par l'ondulation. Heureusement, il y a les plumes! Le lancé est toutefois très bon, même si dans la réalité, ce genre d'arme avait une efficacité pour tuer, jusqu'à une vingtaine de mètres.

Il faut noter que les plumes servent essentiellement à corriger une erreur d'adéquation entre le spine de la flèche et la force du lanceur. En théorie, une flèche parfaitement adaptée au lanceur (ou archer pour un arc) n'aurait pas besoin d’empennage. Plus les plumes sont grandes et plus elles stabilisent rapidement le vol de la flèche. Mais, en même temps, la flèche sera freinée et elle aura une plus grande prise au vent (donc risque d'être déviée).

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Conclusion :

 

La balistique est une science complexe, qui fait intervenir de nombreux paramètres. Pour maximiser leurs chances d'attraper du gibier, les hominidés ont dû, au fil des millénaires, acquérir de bonnes connaissances dans ce domaine.

Les armes devaient être le plus parfaites possibles, contrairement à d'autres objets artisanaux. En effet, un vase en bois, même mal dégrossi, ou avec des parois trop épaisses, etc., pourra toujours contenir de l'eau et permettre de la transporter. Pour une arme, il n'en va pas de même. De la qualité de fabrication d'un manche, ou d'une lame dépendait la capacité à capturer une proie, à ne pas être blessé et donc à permettre la survie du clan.

 

Ainsi, l'exigence vitale demandée par l'efficacité d'une arme, a probablement guidé les hominidés vers la construction d'une pensée scientifique: au début, avec des essais/erreurs puis, peut-être avec Sapiens, à la formulation d'hypothèses, expérimentation, théorisation et reproduction du phénomène. La vie en communauté, permettant de créer des fonctions distinctes (chasseurs, constructeurs, artisans, etc.), a dégagé du temps pour expérimenter pour se tromper, recommencer. Avec la complexification du langage chez Sapiens, ce savoir a pu être transmis plus efficacement aux plus jeunes qui à leur tour pouvaient développer leurs propres idées. Mais ceci est une autre histoire !

(1) La dureté, appelée "spine", est une unité de mesure anglaise en archerie. La flèche est installée entre deux points d'appui, espacés de 26" (soit environ 66cm) auquel on accroche au centre un poids de 2 livres (907g). Au centre, on mesure la déformation de la flèche (en pouces) par rapport à l'horizontale. On applique la formule spine=déformation x 1000. Par exemple, un déformation de 0,5" au centre (soit 1,27cm), donne un spine de 500 (0,5x1000). Ainsi, plus le spine est élevé et plus la flèche est souple.

Pour un même spine, une flèche devient plus raide, si on la raccourci. Pour bien comprendre, pensez à une tige de bois de 2m de long. Vous pourvez facilement le courber un peu. Maintenant, la même tige, raccourcie qui ne fait plus que 2cm de long ne peut pas être courbé! Pourtant son spine (mesure sur un crayon de 26" de longueur) n'a pas changé.

2) On utilise des morceaux d'un tronc coupé dans le sens de la longueur (sens des fibres) pour faire de bonnes flèches, des lances ou des arcs. En effet, si on utilise une branche de petit diamètre (pas besoin de tailler), alors la densité générale est trop faible à cause du centre de la branche. De plus, il risque d'y avoir des nœuds qui ne permettent pas d'avoir une surface lisse.

(3) La pointe joue un rôle important car elle représente une masse supplémentaire à l'extrémité du fût. Elle agit comme une sorte de résistance à l'avancement du fût. Lors de la phase de projection, plus la pointe est lourde et plus le fût a tendance à se déformer. Plus la pointe est lourde et plus le fût doit être "raide" et donc avoir un spine faible. En même temps, pour une même force de lancer, une pointe lourde ralentit rapidement le projectile et sa portée est moindre. Par contre, une grosse pointe fait plus de dégâts (énergie cinétique) et tue plus facilement le gibier visé. C'est pourquoi, avec une bonne lance bien adaptée, pour pouvoir viser l'animal au niveau des zones vitales (cœur, poumons), on estime que la distance efficace ne dépasse pas une vingtaine de mètres. 

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